Les fluctuations du taux de change nuit sévèrement à l’investissement dans l’économie haïtienne





Cet article présente une analyse de l’influence du taux de change sur le niveau global de l’investissement en Haïti sur la période allant de 1991 à 2015. Un travail réalisé par Anderson TIBEAUD et Samuel-Philip JEAN-LOUIS de la promotion 2011-2015 pour l’obtention de leur Diplôme d’Etudes supérieures en Economie Appliquée au Centre de Techniques de Planification et d’Economie Appliquée (CTPEA). Les résultats de l’étude ont été assez surprenant.


Cela fait plus de deux décennies que le taux de change fait partie des principales préoccupations des autorités monétaires ou politiques du pays. Tant bien que mal, ils ont essayé d’adresser le problème. C’est un sujet qui suscite de nombreuses discussions à tous les niveaux de la société : entrepreneurs, économistes ou encore l’homme de la rue. En effet, le poids du taux de change par rapport au dollar américain séjourne dans l’économie haïtienne. Il y a l’homme de la rue qui le voit comme source de tout problème. Son impact est réel sur la vie de la population. Il se fait de plus en plus sentir par l’augmentation des prix des produits domestiques et la baisse du pouvoir d'achat qu’il provoque.

Depuis les profonds changements opérés dans le système monétaire international marqué par la libéralisation financière dans les années 90, il est devenu plus difficile de cerner l’ensemble des variables qui interagissent avec le taux de change. Il tend à être une variable incontournable dans la gestion des agrégats macroéconomiques (FMI, 1997). Et, l’incidence que peut avoir le taux de change sur les variables macroéconomiques diffère suivant la réalité des pays (contexte macroéconomique, le type d’entreprise ou secteur d’activités, le type de marché et la proportion des intrants importés dans le processus de production, l’ouverture économique, le degré de volatilité du change etc.).


Considérant l’incidence possible de ce dernier sur certaines variables macroéconomiques, deux économistes, Anderson TIBEAUD et Samuel-Philip JEAN-LOUIS ont réalisé leur mémoire de sortie intitulé : Influence du taux de change sur le niveau des investissements et la croissance des exportations sur la période de 1991 à 2015 dont l’objectif principal a été de vérifier l’existence possible du lien de causalité entre le Taux de change et l’Investissement, ensuite mesurer le poids qu’a pu avoir le Taux de change sur l’Investissement et Croissance exportations. Ce travail a été fait en vue de l’obtention de leur Diplôme d’Etude Supérieure (DES) en Economie Appliquée au Centre de Technique de Planification et d’Economie Appliquée (CTPEA). Toutefois, dans cet article, comme mentionner, nous allons présenter la partie du travail qui fait ressortir l’influence du Taux de change sur l’Investissement (l’investissement étant une variable d’importance capitale en Haïti). C’est une opportunité de faire la lumière sur l’ampleur de l’effet net que peut avoir le taux de change sur le niveau des investissements dans un contexte de mondialisation des échanges.

Campa et Goldberg (1993) fut l’un des premiers à s’intéresser à ce sujet. Selon eux, deux canaux lient la variable du taux de change dans les décisions d’investissement : l'exposition extérieure de l’entreprise à travers sa dépendance aux importations dans sa production et la nature des produits exportés, et le niveau de compétition des entreprises nationales et internationales. Lafrance et Schembri (2000) avance que les déséquilibres persistants du taux de change réel risquent davantage de fausser les décisions d’investissement, en entraînant à la fois un surinvestissement et un sous-investissement suivant les différents secteurs. Pour Dosse Toulaboe (2005), l’application d’une politique de change inappropriée contribue à la mauvaise performance économique que de nombreux pays subissent. Belke et Gros (1998), a montré que la volatilité des changes réduit l’investissement même en l’absence d’aversion pour le risque. Alors, suivant l’expression de sa dépendance à l’extérieur, les fluctuations du taux de change peuvent induire de sérieuses distorsions qui peut nuire à la stabilité économique.


Haïti offre un décor qui présente un mauvais présage. En effet, sur la période allant de 1991 à 2015, l’économie est caractérisée par différentes conjonctures : l’ouverture de l’économie et la mise en place d’une politique de libéralisation ; un délaissement ou démantèlement du secteur productif de l’économie ; un déficit de la balance commerciale devenu chronique et grandissant d’années en années ; une économie de consommation et finalement une production de l’économie dépendante de plus en plus des intrants importés (matières premières, équipements etc.). L’investissement global a augmenté de façon très modeste sur la période mais cela est dû principalement aux investissements publics. Le taux de change s’est révélé insaisissable sur la période passant de 7,9 gourdes en 1991 à 25.49 gourdes en 2001 soit une augmentation de 222,69 % en 10 ans et en 2015 il est à 52.07 gourdes pour un dollar (il a plus que doublé). Dans un tel contexte, il est possible que le taux de change a pu nuire à l’investissement.

Evidemment, le taux de change n’est pas le seul facteur qui peut influencer l’investissement mais, pour ce travail, il est question de vérifier l’existence de cette influence et d’en mesurer l’intensité. En effet, théoriquement, la nature de la relation entre le taux de change et l’investissement est incertaine et certains économistes parlent même d’une certaine déconnexion entre les fluctuations du taux de change et les variables macroéconomiques. Manifestement, les données sur l’économie haïtienne semble le confirmer entre les différentes sous-périodes de l’étude. Les sous-périodes 2005-2007 et 2010-2015, l’investissement a diminué alors que le taux de change s’est respectivement déprécié et apprécié mais, les deux variables ont accusé une tendance positive sur toute la période. Deux effets sont possibles : effet du pouvoir d’achat versus effet de la demande. Toutes choses égales par ailleurs, lors d’une appréciation du change, le pouvoir d’achat de la monnaie locale augmente alors les entreprises qui dépendent de l’extérieur pour leurs intrants peuvent en acheter plus pour leur production (effet du pouvoir d’achat) mais cela peut tout aussi affecter la demande extérieure du fait que les produits nationaux deviendront plus chers (effet de la demande) et inversement lors d’une dépréciation. Selon l’effet qui prédomine, les investissements peuvent augmenter ou diminuer. Ici, on essaie de déceler quel effet domine lors des fluctuations.

Les résultats de l’étude ont été assez surprenants. En effet, ce travail a révélé qu’il y a une relation de causalité donc de cause à effet entre le taux de change et l’investissement dans l’économie haïtienne pour la période sous étude. Le taux de change “ block cause” l’investissement. Il y a donc un lien direct qui lie le taux de change avec le niveau global de l’investissement en Haïti. C’est-à-dire l’évolution de la variable taux de change permet d’expliquer le faible niveau de l’investissement ou le choix d’investir dans l’économie haïtienne sur la période 2011 à 2015. De plus, à travers une décomposition de variance, ils ont trouvé que l’investissement est dû à près de 48.17 % en moyenne aux innovations du taux de change tandis qu’il est dû à 38.25 % à ses propres innovations ces 15 dernières années. L’évolution du niveau de l’investissement semble donc considérablement dépendante du niveau du taux de change, toutes choses étant égales par ailleurs. La prévision de l’investissement est améliorée quand on prend en compte le taux de change dans l’économie. Cétéris paribus, cette dynamique exige que toute politique ayant pour objectif de promouvoir les investissements doit tenir compte du taux de change nominal par rapport au dollar dans l’économie.
Le taux de change a joué un rôle assez considérable dans l’évolution de l’investissement. En effet, il faut plus de 10 années à l’investissement pour se remettre d’un choc sur le taux de change dans l’économie haïtienne, toutes choses égal par ailleurs. La réponse cumulée de l’investissement face à un choc du taux de change est très important, il l’éloigne de son foyer d’équilibre à mesure que les années passent. Cette permanence de l’effet est dû au fait que le taux de change ne trouve pas sa valeur initiale après avoir subi un choc dans l’économie haïtienne.

Certainement, cette constatation peut s’expliquer par l’exposition des entreprises de l’extérieur. En effet, l’économie haïtienne est parmi les plus ouvertes au monde. La sphère productive est délaissée. Par conséquent, une partie importante du coût ou du prix (intrants), des biens produits sont libellés en dollar américain. Par conséquent, un choc du taux de change assure une transmission rapide sur les prix des produits nationaux. Il affecte rapidement le niveau de l’inflation et le pouvoir d’achat des ménages : ce qui fait diminuer la demande sur le marché et nuit les investissements globalement. De plus, la part du commerce en Haïti se fait essentiellement en produits importés alors que celui-ci draine l’essentiel du crédit dans l’économie : le taux de change étant au centre de ces activités. Il s’est révélé déterminant du choix de la filiale d’activité qu’un entrepreneur souhaite investir donc important dans les choix d’investissements. De plus, il ne faut pas oublier que le taux de change réel est déterminant dans le choix de consommation des biens et services nationaux ou internationaux donc très importants dans les décisions d’investissement. Cette situation a peut-être conditionné l’investissement.

Le travail a fait ressortir qu’il serait d’une importance capitale dans l’élaboration des politiques d’agir sur les déterminants du taux de change, les différentes sources d’entrées et de fuites de devises vu le lien de causalité entre le taux de change et l’investissement. L’économie haïtienne doit enfin renouer sa relation avec la production. Même si l’investissement a globalement cru (timidement) mais son impact sur la croissance ne se fait pas trop sentir. On doit opter pour des investissements productifs susceptible d’avoir des retombées positives et significatives sur les exportations et la croissance du produit intérieur brut (PIB).

Néanmoins, un premier travail a été fait. Il a ces faiblesses, d’autres études beaucoup plus approfondies doivent avoir lieu. Des questions restent pendantes telles : quels sont les canaux qui lient le taux de change et les investissements en Haïti ? quels sont les déterminants de l’investissement dans l’économie haïtienne ? quels sont les facteurs qui influencent les décisions d’investissements en Haïti de 1991 à 2015 ?




Anderson Tibeaud
Économiste 
 (509) 3314-3317
Blog: andersontibeaud.blogspot.com 
@EconandersonT





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