L’image de soi-même par rapport au handicap, un aspect négligé dans l'insertion socioeconomique des personnes en situation de handicap
Ce
travail est inspiré du mémoire de sorti intitulé « Conditions de vie des
personnes en situation de handicap et leur niveau d’intégration ou d’inclusion
sur le marché du travail (Aire Métropolitaine de Port-au-Prince) de l’étudiante
finissante en statistique, Jennifer Sœurette ALTIDOR, réalisé pour l’obtention
de son Diplôme d’Etudes Supérieures (DES) en Economie Appliquée : option Statistique
au Centre de Techniques de Planification et d’Economie Appliquée (CTPEA). Dans ce
travail, elle a souligné, entre autres, une réalité négligée qui mérite de
l’attention: ce n’est autre que le bien-être subjectif des personnes en
situation de handicap en Haïti vulgairement appelées « les
handicapées ». Un autre article fera le point sur l’employabilité de ces
personnes.
En Haïti, il est facile de se retrouver un jour en
situation de handicap suite à diverses circonstances inhérentes à son
environnement. Soit étant physiquement ou mentalement victime pendant des catastrophes
naturelles très répétées, soit des accidents de travail ou de la circulation, soit
à l’insalubrité responsable du développement de plusieurs pathogènes (maladies
infectieuses handicapante, Chikungunya, malaria, typhoïde …), soit des évènements
mal fortuits en raison des constructions anarchiques, soit encore suite à d’autres
circonstances sociales comme l’inaccessibilité des soin de santé. Pourtant, les
personnes en situation de handicap sont des éternels oubliés de la société. Elles sont les plus touchées par la pauvreté, en général
elles conjuguent leur existence avec la précarité : plus d’un million de
compatriotes haïtiens sont confrontés à cette situation (1 041 321
personnes en situation de handicap en 2014) [1,2]. Elles sont non seulement les
premières victimes du chômage, gagnent beaucoup moins, occupent des emplois sans
perspectives de carrière et très souvent ils exercent des professions de
dernière zone. Exclues de la vie socioéconomique et politique du pays, leurs
potentiels productifs restent inutilisés. Ils peinent à subvenir à leurs
besoins. Un vrai défi.
Cependant, il n’y a aujourd’hui aucune statistique
fiable et précise sur la situation globale des personnes ayant un handicap en
Haïti et, ceci malgré la création même si tardive de la Secrétairerie d’Etat à
l’Intégration des Personnes Handicapées (SEIPH) en 2007. Même en faisant un
saut dans le passé pour consulter les derniers recensements de 2003 nous
laissent sans aucun dénombrement national, voire même une description, un
profil, ou des éléments sur les conditions de vie des personnes en situation de
handicap, a déploré Jennifer Altidor (2018). Mais, une étude citée plus bas a
fait ressortir que, la majorité de la population de ces personnes serait des
femmes (56 %) et aurait pour la plupart un handicap physique (90%) avec une
part plus importante de handicap moteur [2]. Cette population vivrait en majorité
dans le département de l’Ouest (24.9%), surtout dans l’Aire Métropolitaine, puis
dans le département du Nord (19%) et 80% parmi elles vivraient dans des conditions très précaires (conditions sociales, économiques, facteurs
environnementaux, bien-être psychologique). Difficiles
d’accès, elles ont un environnement difficile et inadapté à leur situation.
La plupart de ces gens dépendent
du soutien des membres de leur famille ou des centres d’aides
pour leur survie. Cependant, plus
de 60 % d’entre elles sont capables et désireux de travailler. Or, en 2011,
dans l’administration publique, on comptait seulement 50 personnes en situation
de handicap.
L’emploi, un point
d’attaque pour briser le cercle vicieux handicap et pauvreté :
l’aspect subjectif omis
L’emploi étant un élément très important dans le processus
de développement, son impact va au-delà des revenus. Il est indispensable pour
combattre le cercle vicieux de la pauvreté (à la fois cause et conséquence principale
de handicap) et la violence. L’emploi permet aux gens d’améliorer leurs
conditions de vies et, évidemment aux femmes en situation de handicap de bien se
nourrir et de bien prendre soin de leurs fœtus ou enfants. Ce qui limiterait le
nombre de cas de déficiences à la naissance (déficiences innées). C’est pourquoi, Altidor (2018) dans son travail, avance que
l’emploi est l’un des points forts d’attaque pour briser le cercle vicieux entre
le handicap et la pauvreté. Donc il est important d’assurer l’employabilité des
personnes en situation de handicap, cela confère de la confiance, de l’estime de soi par
rapport à son corps ou à son handicap et une assurance sur ses capacités et ses
potentialités pour le marché du travail (bien-être subjectif).
En effet,
plusieurs études rapportées par l’auteure ont été unanime sur l’importance de
l’emploi pour l’amélioration des conditions de vie des personnes en situation
de handicap. L’OIT a parlé de la nécessité d’un vrai renforcement de
l’employabilité pour les personnes en situation de handicap selon les besoins
du marché. Toutefois, certains chercheurs, en s’intéressant au bien-être
subjectif des personnes en situation de handicap d’âge actif, ont démontré que
l'estime de soi, le lieu de contrôle et l'acceptation de leur handicap jouent
un rôle important dans leur processus d’insertion socio-économique. Tout ceci résume
l’aspect qualitatif ou encore la subjectivité dans l’étude du handicap. La
« subjectivité » étant le point
de vue de la personne en situation de handicap et sa façon de réagir face à son
état corporel, fonctionnel et situationnel. Elle concerne ainsi
la façon dont un individu gère sa réalité et l’acceptation de vivre avec ou
s’adapter à cette condition (l’équilibre
de vie de la personne).
Selon un article paru
dans Les Cahiers
Internationaux de Psychologie Sociale [3], rapporté par Jennifer Altidor (2018), les stéréotypes
négatifs à l’égard des personnes en situation de handicap dans notre société
affectent sérieusement leur insertion socioéconomique. Selon l’auteure, d’un point
de vu professionnel, il y a, d’une part, la présomption des employeurs quant
aux incapacités, invalidités ou limitations
de toutes personnes en situation de handicap par rapport aux autres et, d’autre
part, l’appropriation de ces idées fausses (porteurs de malédiction,
invalides) par les personnes en
situation de handicap de leur entourage ou encore le fait d’être ignorées
quitte à avoir de mauvaises images d’elles-mêmes. Ceci, entre autres, les
décourage à investir dans leur instruction et leur formation en préparation à
une vie professionnelle épanouie.
En effet, le regard de la société sur une infirmité,
une déficience ou un handicap d’une
personne affecte sévèrement sa perception ou encore son état psychique. De plus,
les gens ont tendance à les stigmatiser en les réduisant à leur déficience: bèbè avèg, soud, nèg ou fanm bout pye,
kokobe, neg ou fanm boul nan do, do bosi. Cela emprisonne leur vraie vie
sociale, leurs capacités et les empêchent de développer leurs potentialités. Ce
sont ces situations qui en réalité constituent le vrai « handicap »
pour leur insertion socioéconomique.
Le
handicap, un sujet banalisé et négligé
Les personnes en
situation de handicap ont d’énormes contributions à apporter à tous les niveaux
de l’économie et de la société. Les freins à leur intégration ou inclusion ont
de sérieux impacts sur la création de richesse nationale. Leur intégration
passe d’abord par un effort d’acceptation de la part de la société,
principalement, puis des autorités ou des institutions établies. Jennifer
Altidor (2018) souligne et déplore le flou autour de la définition et de la compréhension
du handicap en Haïti. Il n’y a, entre autres, aucun consensus sur la définition ou la compréhension même du
handicap en Haïti. Elle avance que le phénomène est approché de différentes manières
au sein du pays : le Gouvernement, les autres institutions (privé,
publique ou ONG) et la population, selon ce qui avantage les intérêts de chacune
de ces instances. En Haïti, chacune des institutions spécialisées dans la
prise en charge de ces personnes emprunte différentes définitions à divers organismes
internationaux. Or, chaque définition fait ressortir une compréhension du
phénomène.
Par ailleurs l’Etat haïtien lui-même, à travers la Loi portant sur l’intégration des personnes
handicapées, Loi du 13 mars 2012, définit le handicap comme une
« Limitation d’activité, ou restriction dans la participation à la vie
dans la société, qu’une personne subie en raison d’une altération temporaire ou
permanente d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, cognitives ou
psychiques », mais Altidor (2018) fait une autre remarque pertinente quant à cette
dite définition. En effet, selon cette dernière, rapporte l’auteure, le handicap est centré uniquement sur la
personne elle-même. Ce qui signifie que l’individu est à lui seul responsable
de sa situation de handicap : ou encore, c’est son handicap qui l’empêche
de prendre correctement part à la vie sociale de son pays. L’aspect
environnemental n’est pas pris en compte. Pire encore, l’Institut Haïtien de
Statistique et d’Informatique (IHSI) [4] responsable de la production des
statistiques nationales, lui, admet comme handicap l’état d’une Personne souffrant d’incapacité et
dont les activités sont limitées en genre et en nombre du fait des difficultés
de longue date, d’origine physique ou mentale. Une définition qui décharge
complètement la société de sa responsabilité dans la création même des
situations de handicap (environnement non-adaptés ou inaccessible) pour les
personnes atteintes de déficiences.
Le handicap est un sujet banalisé
et négligé dans notre société soutient la statisticienne. Elle fait une autre
remarque très pertinente dans son travail, elle souligne qu’aujourd’hui la communauté scientifique admet suivant une approche
à la fois médicale et sociale dite médico-sociale où la notion de « personnes en situation de handicap» est aujourd’hui
utilisée en place de l’appellation péjoratif de personnes handicapées ou des
handicapés mais, on constate jusqu’à date, on continue encore à identifier
ces personnes avec ces termes dans les discours et débats officiels et
populaires. Et, l’approche médico-sociale qualifie comme situation de handicap le fait, pour une
personne, de se trouver, de façon temporaire ou durable, limitées dans ses
activités personnelles ou restreinte dans sa participation à la vie sociale du
fait de la confrontation interactive entre, d’une part, ses fonctions
physiques, sensorielles, mentales et psychiques lorsqu’une ou plusieurs sont
altérée, et, d’autre part, les contraintes de son cadre de vie. »
En effet, le sujet est
traité avec négligence et, le regard que jette la société par rapport à ces
personnes est encore plus handicapant. Cela affecte leur estime de soi par rapport à leur
corps, leur handicap, leur estime de soi en terme de capacité à intégrer le
marché du travail et encore plus l’équilibre de leur vie (l’acceptation de
son handicap et la gestion de sa réalité). Ces faits montrent
combien il s’avère important dans le contexte haïtien de tenir compte du
bien-être psychologique des personnes en situation de handicap ou encore de
l’aspect de la subjectivité dans l’étude du handicap dans le pays surtout quand
il s’agit d’insertion socioéconomique.
Des spots ont fait ressortir
l’importance de porter assistance aux personnes en situation de handicap dans
les rues ou dans les points de services, ils croient bien faire mais ce n’est
pas la bonne attitude à adopter. Cette attitude handicape encore plus ces
personnes. Ces gens en ont assez de la pitié sociale ou des gestes de compassion
incessants. Ils n’ont pas besoin que de l’assistance, ce ne sont pas des gens
fragiles. Arrêtez de les réduire à leur déficience. Ce sont des potentialités
en attente d’être exploitées dans la planification du développement
socioéconomique. Ce qu’il leur faut c’est de la formation supérieure de qualité
et un environnement socioéconomique facilitateur. S’il y a un vrai soutien que
la société devrait leur offrir c’est d’établir un environnement propice pour
qu’ils arrêtent de se trouver constamment en situation de handicap. Un autre article fera
ressortir la perception des personnes en situation de handicap par rapport à
leur corps, la société et le marché du travail.
Pour leur insertion
économique tant désiré, il faut une vraie politique de formation de
professionnels interprètes en langage des signes à travers les différentes
institutions de socialisation. Il faudrait aussi aménager des infrastructures
afin de les rendre plus facile et plus accessible aux personnes en situation de
handicap. De nouveaux programmes surtout socioculturel et psychologique doivent être
élaborées pour encadrer les personnes avec handicap, a recommandé Jennifer
Altidor (2018). Il faut davantage de programmes de sensibilisation active susceptible de
modifier positivement l’attitude du reste de la société envers les personnes en
situation de handicap. Tout ceci envoie un message d’acceptation pour le
bien-être psychologique de ces personnes. Cela confère de la
reconnaissance de leur droit et de leurs capacités.
Anderson Tibeaud
Économiste
(509) 3314-3317
Blog: andersontibeaud.blogspot.com
@EconandersonT
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