Et si le salaire était le principal déterminant de l’emploi dans le secteur de la sous-traitance en Haïti?



Face à la montée des revendications des travailleurs pour l’augmentation de salaire dans le secteur de la sous-traitance, certains parlent de cette hausse de salaire comme d'une entrave à l’emploi. Un tel discours met en avant des politiques publiques dont les implications sociales sont sous-estimées. C'est pourquoi cet article veut faire ressortir la complexité de la relation entre le niveau de salaire et de l’emploi, puis discuter de sa particularité dans le secteur de la sous-traitance.

Des études ont fait ressortir plusieurs types de liens entre salaire et emploi. Les relations diffèrent selon que les conditions socioéconomiques changent dans l’activité économique. Parmi ces relations, on peut citer l'effet de substitution, l'effet de Kalecki, l'effet de compétitivité, l'effet des débouchés et l'effet de qualité.

Ainsi :

1- L'effet de substitution décrit l'influence du coût relatif des facteurs sur la combinaison productive retenue. Toutes choses étant égales par ailleurs, toute hausse du salaire relativement au coût du capital modifie le rapport capital-travail dans un sens défavorable à l'emploi.

2- L'effet Kalecki exprime qu’une baisse de salaire améliore le taux de profit puis l'amélioration de l’accumulation de capital accroît la production et l’emploi. Ce principe repose sur le théorème de Schmidt qui stipule que « les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain ».

3- L'effet des compétitivités qui soutient que si les salaires baissent, les prix des produits nationaux baisseront et l'économie bénéficiera d'une compétitivité des prix sur le marché international. La demande externe augmentera et le pays exportera plus qu'il importe. Ces effets mettent en évidence une relation inverse entre l'emploi et le salaire.

4- L’effet des débouchés élaborés par Jean-Baptiste Say : il soutient que les salaires ne sont pas simplement une « charge » pour les entreprises, car les salariés sont de potentiels clients de l’entreprise. Toute baisse salariale induit donc une baisse de la demande finale qui va peser sur le niveau de la production et donc de l'emploi.

5- L'effet de qualité décrit l'influence possible du choix d'une combinaison productive relativement plus riche en travail. Dès qu’une élévation des qualifications des employés rend l’entreprise plus compétitive, une augmentation de salaire est donc nécessaire.

Les activités de sous-traitance consistent à exécuter un travail dont la totalité des équipements a été commandée par une autre entreprise généralement à l’étranger. Donc, l’entreprise locale assure la production puis exporte à l’entreprise commanditaire. L’implantation de ces entreprises dans les pays sous-développés résulte de la délocalisation de certaines entreprises étrangères fuyant les coûts de production élevés dans leurs pays d’origine.

La sous-traitance en Haïti est concentrée sur des segments de bas de gamme (essentiellement en produits textiles), représentant environ 80% des exportations de l’économie. Frappé de crises répétées, l’emploi dans ce secteur était de 150 000 dans les années 80 pour arriver à moins de 40 000. Recherchant des situations plus économiques et contraintes à des quotas de production, ces entreprises répondent mieux à l’effet de substitution sur le marché du travail. Toute augmentation de salaire influence négativement les coûts de production. L’effet de qualité ne s’y applique pas. On a une main d'oeuvre très peu qualifié. Le bas salaire est l’un des facteurs incitant l’implantation d’entreprises très motivées par les réductions de coûts. L’effet de compétitivité est hypothétique, puisque l’économie haïtienne décrit une réalité assez complexe concernant les prix des produits « Pri pa konn desann isit ».

Ces entreprises achètent près de 100% des intrants à l’étranger. Elles ne s’approvisionnent donc pas dans l’économie. Conséquence: aucun effet d’entraînement sur les autres secteurs. Elles exportent toute leur production à l'étranger vers leurs contractants. Le bas salaire est le seul produit restant de l’économie. L'effet des débouchés ne saurait s’y appliquer non plus. Ils vendent et achètent en devise mais ils paient en monnaie locale, alors une dépréciation de la monnaie locale augmente leurs marges bénéficiaires. Cependant, lorsque les salaires progressent moins vite que la production, on peut voir qu'il y a un problème d’équité, car cela signifie que le capital empoche tout. Cela retarde la consommation comme moteur de la croissance. Certes, il peut arriver que les investissements et les exportations prennent le relais d’après l’effet Kalecki mais cela devrait se remarquer au niveau de l’emploi. Ce qui n'est pas le cas ici.

L’État compte sur ce secteur comme pourvoyeur d’emplois alors que ces entreprises ne s’intéressent principalement qu’aux faibles coûts. Il y a donc deux intérêts qui n’arrivent pas à être conciliés vu la présence d’un autre acteur indispensable à ses activités : les ouvriers. La faiblesse du système productif haïtien fait que celui-ci n’a d’avantage comparatif que sur les maigres salaires de l’économie. Par exemple, les entreprises bénéficieraient de franchise dans l’importation aux États-Unis si 50% de la valeur des intrants étaient d’Haïti (loi Hope). De surcroît, la qualité de la main-d'œuvre est un obstacle au développement d'autres filières d'activités. Ces entreprises voient leurs coûts de production assujettis au salaire.

Face à l’inflation galopante, le pouvoir d’achat a diminué considérablement. On ne saurait rejeter tout le poids du pouvoir d'achat sur le dos de ce secteur. On ne saurait résoudre le problème qu'avec une approche au niveau du salaire. D’autres facteurs tels la disponibilité des ressources comme intrants locaux pourraient éviter certains coûts et rendre l’économie plus compétitive en attirant de nouveaux investissements pour de nouveaux emplois.


En raison de ce que l’économie bénéficie de ce secteur, les solutions palliatives ne durent pas, car on ne fait que reporter les crises. Les employeurs ne peuvent garantir la valeur du salaire en termes de pouvoir d’achat. Certains sous-traitants parlent même d'achat de matières premières par l'État afin de profiter des avantages. Il faut donc inévitablement contraindre l’État à travers des groupes sociaux organisés afin de stimuler l’investissement dans le système productif et dans la formation professionnelle pour profiter du secteur de la sous-traitance.



Anderson Tibeaud, 
Economiste quantitativiste
tibanderson92@gmail.com






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