La tertiarisation de l’économie : Haïti sort du processus classique du développement


La tertiarisation de l’économie : Haïti sort du processus classique du développement




Haïti a manqué la révolution industrielle du XIXème, et, malgré tout, il n’a pas échappé au processus global de tertiarisation des économies à la première moitié du XXème siècle. Aujourd’hui, le tertiaire occupe près de 60% du produit intérieur brut (PIB) et englobe plus de 70% de la population active.

De 95% du PIB au XIXème siècle, le secteur primaire a vu sa part diminue à environ 44 % en 1950, 49,2 % en 1970, 28 % en 1988 et aujourd’hui a moins de 25%. Entre temps, le tertiaire qui représentait 33,8 % en 1970, passe à 51,1 % en 2010 et occupe aujourd’hui près de 60% du PIB.

La tertiarisation est la tendance à l’augmentation et à la prédominance de la part des activités tertiaires dans l’économie. Dans les pays développés, la part du primaire (agriculture) a diminué au profit du secteur secondaire (industrie) : l’industrialisation. Et au début du XIXe siècle, la part du secondaire s’est vue supplantée par des activités de service.

La tertiarisation est une nouvelle phase du processus historique de l’évolution des sociétés avec un recul de la part de l’industrie remplacée par un développement rapide des activités de services. Ses activités économiques n’utilisent ni les procédés agricoles ni les procédés industriels. Il s’agit principalement de la production de services.[1]


Colin Clark, économiste anglais, présente le processus de tertiarisation comme une histoire universelle du développement : après l’âge « primaire » (agricole) vient l’âge secondaire (industriel) puis tertiaire (post-industriel). Daniel Bell (1919-2011), sociologue américain fait ressortir aussi dans sa thèse « la société post-industrielle » les étapes à suivre avant de déboucher sur la société de service : D’abord l’agriculture, l’industrie puis les services. Il soutient que le progrès technique conduirait à un certain nombre de glissements sectoriels jusqu’à la tertiarisation.


Plusieurs éléments ont été soulignés comme cause de la tertiarisation. D’abord, les gains de productivité du facteur travail dû à l’utilisation de la technologie. En effet, ce dernier a permi de dégager des gains de productivité qui ont libéré de la main-d’œuvre. Ensuite, elle est due à l’évolution de la Demande et de l’Offre de produits. A mesure que les revenus augmentent (loi d’Engel), la demande en produits alimentaires et produits industriels vont stagner tandis que celle des produits industriels (vêtements, biens d’équipement ménager, automobiles et celle des services (la santé, les loisirs, la culture) augmente.

En Haïti, avant les années 50, le secteur primaire était le pilier de l’économie. En raison de l’échec de modernisation du secteur, la productivité n’a jamais cessé de décroître. L’agriculture est restée rudimentaire.

Avec l’ouverture du marché (Consensus de Washington) à la concurrence internationale dans les années 90 exprimé par la baisse des tarifs douaniers et des droits de douanes sur les produits importés, cette situation a donné lieu à l’envahissement des produits importés sur le marché local et la déroute du secteur industriel haïtien.

Alors que le secteur secondaire peine à décoller et le secteur primaire en décadence, le tertiaire « rendu » et influencé par l’extérieur a imposé une nouvelle physionomie à l’économie haïtienne. Les activités de service sont devenues l’essentiel de l’économie alors qu’on n’arrive pas encore à nourrir nos compatriotes. Une situation que Bénédique Paul qualifient comme un changement d’occupation de la population. Un certain déplacement sectoriel au détriment de la branche agricole.
« Le pays est passé très loin de la transition vers l’émergence d’une classe ouvrière industrieuse en réponse à un développement industriel durable. De la prédominance de l’agriculture de subsistance, il est plutôt passé à la généralisation des activités de survie dans les milieux urbains, élargissant ainsi les bases de l’économie informelle » (BRH, 2017).

L’agriculture n’est pas au service de l’industrie, l’industrie non plus n’est au service du tertiaire. Conséquence, la tertiarisation de l’économie haïtienne sort du processus classique de l’histoire du développement. L’économie n’a pas les moyens d’approvisionner la population en biens et services et elle ne dégage pas de revenu considérable pour satisfaire ses besoins sur le marché extérieur.

Cela ne passe pas d’abord par le secteur primaire devant fournir les intrants nécessaires au secteur industriel pour ensuite faire circuler les produits locaux par les activités de services puisqu’on a besoin de produits pour stocker, vendre et acheter en un point donné.

La main d’œuvre libérée du déclin de l’agriculture a accéléré le processus d’urbanisation de la population en des expressions les plus déplaisantes : une bidonvilisation à outrance des espaces urbains. L’industrie essentiellement en manufacture et assemblage étant en déroute et, loin de pouvoir absorber cette main d’œuvre très peu qualifiée, cela a accéléré l’essor des activités liées aux petits métiers et aux petits commerces principalement en produits importés.

Comme conséquence, la valeur d’intégration du tertiaire dans l’économie haïtienne est très faible, donc sa contribution à la croissance est automatiquement faible malgré l’ensemble des ressources matérielles, humaines et financières importantes qu’il mobilise. De plus, l’économiste W. Baumol mettait en garde contre une croissance due à un développement important du tertiaire qui peut être déséquilibré car ce secteur connait de faibles gains de productivité ce qui peut mener, par un effet de structure, au ralentissement global de la productivité (Djaouida, 2012).

En effet, les services nécessitent une main d’œuvre incompressible ; il n’est donc pas possible de réaliser des économies à ce niveau. Vu le type de tertiarisation de l’économie, l’effet sur la croissance est encore moins important. L’économie bascule donc dans un phénomène qui vienne affaiblir toute possibilité d’harmonisation entre les secteurs.

Contrairement aux pays développés où la tertiarisation découle des conséquences des activités des autres secteurs, le processus de tertiarisation de l’économie haïtienne ne nait pas des retombées ou des bénéfices de l’industrie ni de la modernisation du secteur primaire. L’économie sort du processus classique du développement - pour quel développement possible ?

Les économistes s’entendent sur le fait que le passage à l’économie de service n’est pas sans conséquence sur la société, le système productif et le système de gouvernance. L’économie haïtienne évolue en dehors du cadre général d’évolution des sociétés. Alors en quoi cette spécificité pourrait être dommageable pour l’économie, la société ? Quelles sont les exigences et conditions du type de développement ? Comment harmoniser les secteurs, vu la piètre performance de l’économie haïtienne ? Sur quel sentier se dirige l’économie haïtienne ? Toutes des questions méritent d’être adressées.


Anderson Tibeaud

Economiste







Références

Bénédique Paul, Alix Dameus y Michel Garrabe : Processus de tertiarisation de l’économie haïtienne, http://etudescaribeennes.revues.org/

BOUKHOUDMI Djaouida ; La Mutation dans les Activités de Services : Le Secteur des Télécommunications En Algérie, une Analyse Williamsonienne des Structures de la Gouvernance, mémoire de maitrise, Mlle, 201

Banque de la République D’Haïti (BRH), 2017 : Un agenda monétaire pour la croissance et l’Emploi



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