Les institutions de services public connaîtront-elles une fin tragique en Haiti ?
Cet article fait ressortir une analyse sur
les services publics comme biens communs en s'inspirant des analyses du prix
Nobel en économie 2009, Elinor Ostrom. Son analyse prend le contrepied de celle
de Garrith Hardin sur la théorie des tragédies des biens communs en argumentant
sur le fait que les biens communs ne sont pas seulement une ressource passive
(ressource naturelle) qu’on exploite mais aussi un espace politique.
En Haïti, les contribuables souffrent de
problèmes graves de services publics quasi inexistants. Ces biens qui peuvent
être considérés comme des ressources communes relèvent de l’État, donc gérés
par des agents publics. Toutefois, il est constaté que les services n’arrivent
pas à être délivrés alors que les ressources sont disponibles. Il n’en demeure
pas moins vrai que des agents publics s’approprient de ces ressources au
détriment de la population. Serait-on dans un cas de « tragédie des biens
communs » en Haïti ?
La tragédie des biens communs est un
phénomène économique décrivant une compétition pour l'accès à une ressource
limitée, menant à un conflit entre intérêt individuel et intérêt général dont
la conséquence rationnelle est un résultat perdant-perdant, par surexploitation
de la ressource. L'expression a été popularisée par un article de Garrett
Hardin paru dans Science en 1968, intitulé The Tragedy of the Commons.
Pour l’illustrer, il prend l’exemple d'un
champ de fourrage commun à tout un village, dans lequel chaque éleveur vient
faire paître son propre troupeau. Chaque éleveur motivé par un intérêt égoïste
de s'accaparer le plus de ressources communes possibles. Chacun emmène autant
d'animaux que possible paître dans le champ commun pour empêcher les autres
éleveurs de prendre un avantage sur lui en utilisant les ressources communes,
et le champ devient vite une mare de boue où plus rien ne pousse.
Habituellement, les gens considèrent deux
types de propriété : publique et privée. Ostrom utilise deux critères pour
distinguer les différents types de biens : « rivalité » et « exclusion ». Les
biens sont dits rivaux ou non rivaux : quand l’utilisation d’une personne
diminue ou ne diminue pas la quantité disponible pour les autres. Vous pouvez
écouter la télévision sans enlever la possibilité d’écoute d’autrui. Un bien
est exclusif ou non : quand il est possible ou requis d’exclure l’usage de
tierce personne de l’usage, ou non. Il est difficile d’empêcher un pêcheur non
autorisé d’enlever des poissons de la mer. Un bien privé est donc rival et
exclusif (un ordinateur personnel par exemple) ; un bien commun est un bien
rival et non exclusif qui peut être eau de l’océan, les réseaux de vélos
partagés d’une ville ; un bien public est un bien non rival mais un bien public
pur est un bien non rival et non exclusif (défense nationale) [1].
Rapporté par Létourneau [1], au sens d’Ostrom, tout ce que nous
appelons service public ne tombe pas vraiment sous la catégorie des biens
publics. Ces services tels que l’éducation, la santé en question comprennent un
nombre fini de place donc ces biens sont finalement rivaux. En ce sens, Ostrom
fait remarquer qu'on serait mieux avisé de les voir sous la catégorie des
ressources communes, puisque la ressource est limitée. Bien sûr, toute la
sphère publique ne se réduit pas davantage aux biens communs ou l’inverse,
puisque le public diffère d’une culture politique à l’autre. Un terrain, un
édifice peuvent être dits propriétés publiques et donc accessibles en principe,
mais eux aussi ont une capacité de support limitée [1].
Les institutions publiques comme
ressources communes résident dans le fait qu’on les met sur pied et qu’on
continue de les soutenir, à partir de revenus collectés auprès des citoyens.
Comme on rémunère les personnes rendant ces services publics, liée également à
des avantages positionnels, de conditions de travail et de retraite, la
structure de service est aussi une ressource pour les « fonctionnaires »
eux-mêmes [1].
Cependant, il arrive que les enjeux
d’intérêt des acteurs qui rendent un service public donné aient une grande
influence sur les institutions. Si les institutions sont comme des ressources
communes, elles peuvent faire l’objet d’un usage égoïste. Ils peuvent donner
lieu à des abus, comme toutes les autres ressources communes. Les bénéficiaires
peuvent être vus comme des abuseurs des ressources en refusant de payer leurs
taxes. Certains agents de services publics sans éthique s’enrichissent à
travers ses ressources puisque, disent-ils, ces ressources appartiennent à tous
: le phénomène de la corruption, de la mauvaise gouvernance où des acteurs
s’approprient des ressources comme des détournements de biens au-delà des
usages acceptés [1].
En effet, cette situation de tragédie des
ressources communes s'apparente aux services publics haïtiens où ils n'arrivent
pas atteindre le citoyen et cela semble devenir la norme. La corruption est
devenue une pratique courante comme dirait certains, un sport national. Certains
agents de service public s'approprient des ressources de l'État comme leurs
biens privés. On se demande où cela va déboucher puisque les ressources
tarissent en même temps que les besoins de la population se multiplient.
Donc, l'action de l’État, lié à des
intérêts privés, conduit à des mauvaises utilisations de ses ressources communes.
Cela est nuisible, la ressource peut s’affaiblir et même être détruites au
détriment des contribuables. C’est évidemment le drame à éviter.
Qu'arrivera-t-il si nous continuons sur
ces mauvaises pratiques ? Vu l'état si délabrant de nos services publics, en
sommes-nous si loin ? Qu'en est-il de l'OAVCT, du système de santé (HUEH, la Providence aux
Gonaïves, OFATMA, le Centre Ambulancier National (CAN) etc., du système
éducatif haitien et de l’utilisation des voies publiques où les
trottoirs sont bondés de marchands de rues ?
La corruption, la mauvaise gestion, le
gaspillage ou encore l’utilisation à outrance des biens de l’Etat font partie
des éléments qui empêchent que le service atteigne le citoyen. Souvent face à
ces problèmes, la solution évoquée dans la société haïtienne est souvent la
privatisation du « bien commun » en question où on donne tout
simplement le bien en question à un ou plusieurs hommes riches pour le gérer ou
de mettre sur pied un partenariat public-privé. Ce qui a ete le cas avec TELECO, Minoterie D'Haiti ou de Cimenterie D'Haiti. Est-ce une panacée ? Ne
devrait-on pas enfin toucher la plaie là où elle est ? Les institutions de
« services publics » ne sont-elles pas en train de vivre une tragédie ? sommes-nous
si loin d’une situation qu’on pourrait qualifier d’une « tragédie des biens
communs mal gérés » en Haïti ?
Anderson Tibeaud
Economiste
tibanderson92@gmail.com
Tel:
3314-3317
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