Quel entrepreneuriat pour la croissance économique en Haïti ?


Une réflexion de Anderson Tibeaud


Quel entrepreneuriat pour la croissance économique en Haïti ?

De nos jours, l’entrepreneuriat commence à gagner en intérêt auprès des jeunes. Un jour, un ami m’a dit que les études ne l’intéressent guère mais plutôt l’entrepreneuriat ; il a même ajouté qu’il était un « futur entrepreneur. »

Le débat sur le rôle que peut jouer l’entrepreneuriat sur le développement est devenu national. Un ancien ministre, parlant de l’entrepreneuriat, eut à dire que « la meilleure façon de trouver un emploi aujourd’hui c’est de le créer. » On se demande vraiment quel est le vrai sens de l’entreprenariat exercé en Haïti ? Pour quel développement économique possible ?

Il y a plusieurs définitions de l’entrepreneuriat mais la définition de référence est celle de Schumpeter, selon lequel l’innovation se manifeste par : la conception de produits nouveaux, l’élaboration de moyens nouveaux qui utilisent les facteurs de production avec davantage d’efficience, et/ou mise en œuvre de technologies conçues par d’autres mais qui ne sont pas encore introduites sur le marché local. L’entrepreneur au sens schumpetérien induit des perturbations sur le marché, via le processus de « destruction créatrice » [1].

Kirzner de son côté voit l’entrepreneur comme un individu qui perçoit des opportunités de profit que d’autres ne voient pas et qui recourt à un arbitrage pour modifier l’équilibre du marché dans l’optique de réaliser un bénéfice. Les entrepreneurs découvrent des opportunités grâce à leur expérience avec le processus du marché. Ils sont vus comme des individus créatifs, qui utilisent le savoir et l’information pour dégager un profit.

Selon Global Entrepreneurship Monitor (GEM, 2006), on distingue plusieurs types d’entrepreneurs. Parmi lesquels, citons : les entrepreneurs motivés par la nécessité, les entrepreneurs innovateurs/motivés par des opportunités et les entrepreneurs non productifs.

1.         L’entrepreneur motivé par la nécessité crée une entreprise parce qu’il n’existe pas d’autres opportunités d’emplois rémunérés viables. Il recourt généralement à des technologies et à des processus anciens et peu productifs, et n’a pas d’idées innovantes ni de perspectives de forte croissance. En ce sens, ce ne sont pas de véritables entrepreneurs.
2.       L’entrepreneur motivé par des opportunités aspire au profit et à l’indépendance. Il innove et vise une forte croissance de son activité, notamment par une expansion au-delà des marchés, des produits et des services locaux.
3.       L’entrepreneuriat non productif se caractérise par des activités qui redistribuent la richesse d’un pan de la société à l’entrepreneur. Il s’agit d’activités de recherche de rente ou de commerce par exemple. 

Une étude de l’OCDE sur 22 pays pour la période 1980-1995 a fait ressorti que l’activité entrepreneuriale est négativement corrélée avec le PIB réel alors que la variable basée sur les données de brevets est positivement corrélée avec la croissance économique [4]. Des recherches issues des rapports de GEM tendent à prouver que l’impact de l’entrepreneuriat par nécessité est plutôt négatif sur le développement économique d’un pays, contrairement à l’entrepreneuriat d’opportunité [5].

En effet, les entrepreneurs ne sont pas tous des sources d’accroissement de la prospérité comme on s’efforce de nous le faire croire. Les activités de survie comme l’entrepreneuriat par nécessité ou l’entrepreneuriat non productif sont de préférence des activités d’accumulation de rente. Le type d’emploi qui résulte de ces formes d’entrepreneuriats offre souvent des salaires très peu rémunérés. Ce qui va perpétuer ces types d’entrepreneuriats dans l’économie alors que ces activités persisteront à avoir très peu d’influence sur la croissance.

Cependant, l’entrepreneuriat favorise la croissance et le développement économiques grâce à l’introduction d’innovations qui apportent de la valeur ajoutée. Toutefois, en présence de croissance économique ou de développement économique, il y a plus d’opportunité : cela attire les gens vers l’entrepreneuriat. [4]. Pour l’apparition de vrais entrepreneurs qui pourraient influencer la croissance, il faut favoriser l’existence d’un flux de connaissances pour que des opportunités de profits soient exploitées par les entrepreneurs [2]. L’assise du développement du capital humain et des compétences est fondamentale.  

L’entrepreneuriat dont il nous faut en Haïti est donc celle qui augmente la concurrence sur le marché avec la création d’entreprises ; ce qui influencera alors positivement la productivité. Sans innovations qui augmentent la productivité, les nouvelles entreprises ne seront pas de taille à exister trop longtemps face aux entreprises déjà existantes. Sans innovation dans les procédés, on passera très loin des résultats escomptés sur la croissance. L’Afrique en est un exemple.

L’Etat et le secteur privé doivent créer pour la population des opportunités d’emplois viables en instaurant des politiques économiques solides et un environnement propice pour les entreprises. Accompagner l’entrepreneuriat est un impératif pour la croissance. En l’absence de telles politiques, les entrepreneurs motivés par la nécessité continueront de créer des petites sociétés peu productives, qui ne contribueront que de façon très limitée à la croissance économique.

Comme a dit Dargent (2016), « il serait dommageable de croire que la création d’entreprise est une solution miracle à la portée de tous. » De plus, Shane S (2008) dans The illusion of entrepreneurship avance qu’il n’y a pas été prouvé que la création d’entreprise génère de la croissance économique, mais plutôt que la croissance économique encourage probablement les individus à créer des entreprises. Les gens créent des activités par absence de vrai politique économique (emploi, croissance etc.).

L’État doit aider les entrepreneurs motivés par la nécessité qui opèrent dans l’économie informelle à devenir des travailleurs productifs dans le secteur formel et aussi jouir d’un salaire raisonnable [1].  D’où l’on ne saurait contourner la politique de l’emploi qui n’existe pas dans l’économie

Les centres de formation et de diffusion du savoir (Université, école professionnelle, école) sont fondamentaux pour toute politique visant le développement de l’entrepreneuriat afin de développer une classe d’entrepreneurs motivés par des opportunités qui innovent. D'utiliser les relations entreprises-Universités-Etat comme incubateur de nouveaux savoirs ou informations permettant aux entreprises nationales d’être plus compétitive sur le marché mondial, et aussi à s’adapter au rythme du progrès.


Anderson Tibeaud,

Economiste
tibanderson92@gmail.com
Tel: 3314-3317





Références
[1] - Groupe de la Banque Africaine de Développement (2011) : Rapport sur le développement de l’Afrique
[2] - Bouabdallah et Zouach, 2005 : Entrepreneuriat et développement économique, Cahiers du CREAD numéro 73, pages 9­29
[3] Randall G. Holcombre, The Origins of Entrepreneurial opportunities, The Review of Austrian Economics, Mars 2003, Volume 16, Issue1, pp 25-43
[4] International Journal of Innovation and Applied Studies ISSN 2028-9324 Vol. 6 No. 3 July 2014, pp. 677-690 © 2014 Innovative Space of Scientific Research Journals http://www.ijias.issr-journals.org/
[5] Shane, S. (2008), The illusions of Entrepreneurship, Yale University Press, New Haven
[6]












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