Migration et développement : Vers la fin de l’étatisation du développement?



Migration et développement : Vers la fin de l’étatisation du développement?



La migration est vue comme un déplacement d’individus à l’intérieur ou à l’extérieur d’un pays. C'est un phénomène très probablement aussi ancien que l’humanité. En effet, il a été présent avant même que l’homme ne pratique l’agriculture et avant l’existence de la propriété privée ; dans une économie de chasseurs-cueilleurs où les groupes doivent régulièrement changer de lieu de résidence lorsque les ressources naturelles deviennent rares pour assurer leur subsistance. Il s’agit alors du premier mode de subsistance de l’homme.

Il y a plusieurs motifs qui peuvent influencer les groupes de population à migrer. On distingue notamment : les migrations économiques (déplacement de travailleurs) et les migrations contraintes (fuite de persécutions, famines résultant souvent de guerres, exil, climat rigoureux…).

La notion du développement économique quant à lui est un phénomène du monde moderne. Il implique l'amélioration du bien-être de toute la population et se traduit par une hausse de revenus par tête, un accroissement de la ration alimentaire et un meilleur accès aux services de santé et à l'éducation.

Plusieurs auteurs ont tenté de trouver une définition au concept de développement. Pour l’essentiel du travail, nous retenons celle du professeur John K. Galbraith. Selon lui, le développement consiste en un élargissement des possibilités de réussite à ceux qui ont le désir d'échapper à l'équilibre de la pauvreté de masse et ses cultures. Le développement implique une hausse du bien-être social, du changement des structures et des mentalités de la société tout entière…

La migration a connu des conceptions controversées à travers le temps. Dans les années 1970 et 1980, parler d’une relation entre la migration et le développement était malvenu. Ces décennies étaient dominées par les perspectives structuralistes et néomarxistes sur le développement en imposant l’idée que la migration est le résultat néfaste de l’expansion du capitalisme. Elles ont coïncidé avec le débat concernant la fuite de cerveaux des pays pauvres vers les pays riches. Selon certains, la migration ne fait qu’aggraver les inégalités entre le centre et la périphérie, et provoque d’après eux le « développement du sous-développement ».

Les migrants étaient stigmatisés et déshumanisés : ils étaient considérés comme n’importe quel bien dans l’économie ; ils sont décrits comme de l’exportation, du pillage ou de l’échange de main-d’œuvre ; le développement était alors compris du point de vue étatique. Les migrants contrarient ainsi les politiques du développement. [2]

À partir de 1990, un changement de la philosophie en matière de développement a donné lieu à une autre conception de la migration par rapport au développement. Ensuite, l’influence des fonds des migrants sur le développement de leurs pays d’origine allait renforcer ce revirement. Les migrants sont maintenant vus comme des acteurs du développement par les organismes internationaux [4].

Dans un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) sur le développement humain, l’économiste Mahbub Ul Haq, s’inspirant de l’approche des capacités de Sen, fait ressortir que ce qui compte en dernière instance dans le développement c’est la personne humaine et l’élargissement de ses capabilités d’agir. Il instaure également l’indicateur du développement humain (IDH) lancé par le PNUD en 1990 qui tient compte de trois variables : la santé (l’espérance de vie à la naissance), l’éducation (le taux d’analphabétisme) et le niveau de revenu.

Selon Amartya Sen, il faut non seulement prendre en compte ce que possèdent les individus, mais aussi leur capacité, leur liberté à utiliser leurs biens pour choisir leur propre mode de vie. En plus de tout ce qui assure le mode de fonctionnement de l’individu c’est-à-dire les biens qu’il possède (se nourrir suffisamment, se déplacer sans entrave, savoir lire et écrire) qui décrit donc son état, il fait entrer la capacité de l’individu à pouvoir les combiner pour son bien-être personnel [1].

Les données sur le PIB rendent difficilement compte de la liberté individuelle. L’adoption de l’approche des capabilités opère un changement. Elle donne lieu à une conception centrée sur la personne humaine et ses possibilités d’action. Ce changement de philosophie favorise, selon Dumitri, la réorientation des rapports entre migration et développement. Il avance pour dire, « comme le développement concerne les capacités d’agir des individus et comme la mobilité en fait partie, il devient aisé de soutenir que la migration, une sous-catégorie de la mobilité, favorise le développement humain ».

Un autre facteur expliquant la transformation du rapport entre migration et développement sont les envois de fonds des migrants. En effet, ceux-ci connaissent une augmentation spectaculaire depuis la fin des années 1980. Des études ont montré que les gains de l’ouverture des frontières pourraient doubler les revenus dans les pays en développement et cela augmenterait significativement le PIB mondial [2].

Outre que les transferts financiers, les migrants transfèrent de nouvelles idées, des normes et des pratiques qui jouent un rôle important au développement.

Toutefois, la conception de la migration versus le développement n’a pas cessé d’évoluer au fil des années. La migration existait avant la construction des États et du régime de la propriété privée. Galbraith soutient qu’elle est bénéfique au pays où ils se rendent ; elle aide à briser l’équilibre de la pauvreté de leurs pays d’origine. Elle élargit les possibilités de réussite des migrants, « quelle est alors cette perversité de l’âme humaine qui pousse les gens à résister à un bien aussi manifeste ? », se demande-t-il [3].

L’environnement où évoluent les individus compte beaucoup dans leur réussite. Si la migration assure le développement de l’homme, par conséquent, priver les citoyens d’un tel bien est une menace à leur bien-être. Alors pourquoi vouloir enfermer les gens à l’intérieur de leur propre pays quand les conditions ne sont pas réunies ?

La nouvelle conception du développement prime l’homme et non les États. C’est la fin de l’étatisation du développement puisque l’objectif de toute politique de développement vise le bien-être de la société.

« Ce sont les gens, et non les bouts de terre, qui éprouvent du bien-être » [2]. Ne restez pas enclavés, déplacez-vous de là ou vous êtes si les conditions de votre bien-être n’y sont pas réunies ! Après tout, c’est le bien-être de l’homme qui compte avant tout.

Références [1] Éric Monnet. Page 103 ... La théorie des « capabilités » d'Amartya Sen face au problème du relativisme ... Lien : [2] Speranta Dumitru (2013), « Des visas, pas de l’aide ! De la migration comme substitut à l’aide au développement ». [3] Galbraith, John Kenneth ([1979] 1980), The Nature of Mass Poverty, Harvard : Harvard University Press, traduit en français par D. Blanchard, Paris, Gallimard. https://uil.unesco.org/.../declaration-dhaka-adoptee-journee





Anderson Tibeaud, économiste quantitativiste tibanderson92@gmail.com Auteur


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