Contrecarrer la dollarisation dans l’économie haïtienne : une décision qui s’impose?
Contrecarrer la
dollarisation dans l’économie haïtienne : une décision qui s’impose?
A l’heure où le débat
sur la dollarisation de l’économie haïtienne est en vogue, nous profitons de
l’occasion pour présenter les résultats d’un travail de recherche réalisé sur
l’économie haïtienne sous le thème « Dollarisation et fluctuations du taux
de change : une analyse sur la période allant de Septembre 1991 à
Septembre 2015 ». Présenté par Hancito Garçon et Bénaël Jean-Louis, pour
l’obtention du Diplôme d’Etudes Supérieures (DES) en Economie Appliquée au Centre de Techniques de
planification et d’Economie Appliquée (CTPEA), le 1er mars 2018. Ensuite,
nous décrierons l’enjeu qui existe quant à l’application des politiques visant
à contrecarrer la dollarisation (dédollarisation).
D’un côté, ils sont
introuvables les études qui s’intéressent à l’effet de la dollarisation sur l’économie
haïtienne. Et, de l’autre côté, sur la période de 1991 à 2015, le taux de
change passât de 15,54 gourdes en 1995 à 43,04 gourdes pour un (1) dollar USD
en 2005, soit une dépréciation de 176% en dix ans de la gourde. Et, la
dollarisation de l’économie n’a fait que progresser, avec un indice de dollarisation
atteignant plus de 50 % en 2015 [1].
En effet, la
dégradation du cadre macroéconomique (croissance économique quasi-nul, taux
d’inflation à deux chiffres) crée un environnement propice à la dollarisation
partielle de l’économie [1]. Ce phénomène touche les trois fonctions de la
monnaie nationale : réserve de valeur, unité de compte et moyen d’échange.
Les agents économiques sont davantage préoccupés à
préserver la valeur de leurs actifs en dollars (réserve de valeur) qu’en gourde.
Aussi, si le contexte monétaire ou macroéconomique continue à se détériorer,
l'étape suivante consiste à exprimer le prix des biens en dollars (fonction
d'unité de compte). Cette étape va alors souvent de pair avec l'usage du dollar
dans les transactions de biens (fonction de moyen d'échange) [2] et, ceci n’est
pas sans conséquence sur la politique monétaire et l’économie.
Les résultats de l’étude
ont fait ressortir un lien causal (cause à effet) à double sens entre la
dollarisation et le taux de change en Haïti : causalité bidirectionnelle. La
dollarisation et le taux de change s’affecterait mutuellement, ceci exige que
toute politique visant à enrayer le phénomène de dollarisation de l’économie
haïtienne doive prendre en compte à un certain niveau la fluctuation du taux de
change et vice versa. Le contrôle du change est donc très important.
La dollarisation a joué
un rôle fondamental dans les fluctuations du taux de change. Il faut 30 mois
(soit 2 ans 6 mois) au taux de change pour se remettre d’un choc sur la
dollarisation dans l’économie haïtienne. En moyenne, près de 50 % des
variations du taux de change sont expliquées par la dollarisation dans l’économie
haïtienne de 1991 à 2015. Selon Garçon et Jean-Louis (2018), la demande de dollars
pour des fins d’épargne, de thésaurisation, de transaction voire de spéculation
va augmenter la demande de dollars dans un contexte d’offre de dollars faible,
il va donc en résulter un taux de change qui fluctue très souvent et ayant surtout
des variations à la hausse. Ajouté à l’inflation, préserver ses actifs en dollars est le plus souvent souhaitable.
D’ailleurs, plusieurs études ont montré que la volatilité du taux de change
s'accroît avec le degré de dollarisation de l'économie.
Cependant, la
dollarisation, disent-ils, même si elle dépend des fluctuations du taux de
change (à 19.65% en moyenne), est en grande majorité (à 80%) auto-entretenue. Ce
qui n’est pas étonnant car « la dollarisation possède la capacité de
persister même lorsque la situation macroéconomique s’est améliorée du fait que
les gens ont acquis l’habitude de se servir du dollar [1]. » En Haïti,
poursuivent-ils, l’instabilité politique conduit toujours à l’instabilité
macroéconomique ; épargner en dollars constitue un moyen sûr de garder un certain
niveau de pouvoir d’achat à travers le temps [1]. Le dollar américain, c'est
une monnaie qui bénéficie donc de la confiance de la population haïtienne.
En effet, la dollarisation décrit le choix pour un pays
d'abandonner sa monnaie nationale pour adopter une monnaie étrangère, qui n'est
pas nécessairement le dollar américain, ou de lier le cours de sa monnaie à
celui d'une autre. Elle peut être totale ou officielle et partielle. Officielle,
quand une monnaie étrangère est adoptée par un pays comme monnaie légale
principale et, partielle ou de fait (de facto), un pays garde sa monnaie
nationale en circulation, mais permet aussi d’effectuer librement des paiements
et des transactions ou d’épargner en monnaie étrangère [1]. Pour le cas de
l’économie haïtienne, on peut parler de dollarisation partielle.
Les conséquences de la dollarisation partielle peuvent être
très néfastes sur l’économie. Sur le plan des finances publiques par exemple,
la dollarisation aggrave le problème budgétaire car elle entraîne une
diminution du revenu de la création monétaire ; elle complique également
la gestion de la politique monétaire et de la politique de change puisque la
dollarisation introduit une composante étrangère dans le stock des moyens de
paiement de l'économie. La dollarisation peut aussi amplifier
les pressions inflationnistes dont elle est pourtant la cause immédiate [2].
La dollarisation partielle fait chuter la garantie pour
le système bancaire du fait que la banque centrale n’est pas préteur en dernier
ressort de monnaies étrangères (le dollar). Et, le plus dangereux est
l’accroissement de la fragilité du système financier dû à l’accroissement des
risques de solvabilité et de liquidité. En effet, les banques peuvent devenir
vulnérables face à l'accroissement des transactions en devises ; le
système bancaire devient plus vulnérable en cas de défaillance ou d'incapacité
d'une banque donnée à honorer ses engagements en devises : ce qui peut
provoquer des paniques bancaires débouchant sur des crises financières
(Mexique, 1982).
Quand on sait que les réserves de la banque centrale s’épuisent
continuellement et que les réserves en devises représentent seulement 750
millions de dollars en Septembre 2017 soit moins de 3 mois d’importations alors
il y a lieu de s’inquiéter [2].
Toutefois, le dollar est la devise la plus utilisée dans
le commerce international. Ainsi pour toutes ses importations, le pays a besoin
du dollar. Cette situation influence directement le prix de revente des biens
importés. Dans un pays qui importe presque tout comme Haïti, donc le
comportement du prix dépend très étroitement du dollar [2]. On ne produit pas
assez et le pays exporte très peu. Donc, l’économie haïtienne a de graves
difficultés à récolter des devises. Ceci fragilise toutes les réformes
monétaires du pays.
A l’instar des pays en développement, la dollarisation de
l'économie trouve ses racines immédiates dans l'inflation (environnement
macroéconomique instable) et les fluctuations du taux de change qui créent un
risque de change pour les biens et services importés. Cependant, les autorités
politiques, surtout dans les pays sous-développés, sans pour autant s'attaquer
à ses racines, livrent une bataille contre la dollarisation au motif de
combattre ses effets nocifs sur l'économie. Mais, il faut souligner qu’un programme
de dédollarisation pérenne devrait avoir comme objectif de rendre la monnaie
locale plus attrayante pour la population [2].
La dédollarisation forcée est justifiée par la nécessité
politique de préserver la souveraineté monétaire et, de limiter, sur le plan
économique, les effets néfastes de la dollarisation sur l’économie. Mais ces
politiques s’ils ne sont pas bien articulées, elles peuvent avoir des conséquences
graves sur l’économie. Elles doivent avoir un plan bien déterminer. Ce qui peut
faire grimper l’inflation qu’elle a voulu combattre. Toutefois, les conditions
propices à la dédollarisation sont : une situation macroéconomique stable
et un système financier dynamique. Aussi, il faut un climat politique stable,
un leadership crédible et visionnaire des autorités monétaire et politique.
L’Etat a-t-il les moyens de faire respecter ses
décisions ? Fallait-il laisser les choses s’empirer pour apporter des
solutions palliatives ? N’est-il pas trop tard ? Devrait-on attendre une
amélioration de l’environnement économique pour penser à dédolariser l’économie
haïtienne ? Si la dollarisation nuit à l’économie, alors comment rendre la
gourde plus attrayante pour la population ?
References
[1] Mémoire de sortie de Hancito Garçon
et Bénaël
Jean-Louis : « Dollarisation et flutlations du taux de
change en Haïti : Une analyse sur la période : Septembre 1991-
Septembre 2015
[2] Dédolarisation : enjeux, regard
et perspectives : Espoir KHAENGA KALEMBO BUTALELE, Cas République
Démocratique du Congo.
Merci Anderson pour l'éditorial. Très instructif et très explicite.
RépondreEffacerMerci Mistral
EffacerSuper intéressant bien que nous espérons que c'est une décision technique émanant d'un projet de dedollarisation à long terme puisque ce phénomène est d'ordre structurel. Ce dernier ne peut être résolu par une politique conjoncturelle voire une décision politique
RépondreEffacerStabilisation du cadre macroéconomique est nécessaire pour diminuer la préférence de nos agents économiques pour le dollar mais pas suffisante puisqu'il est d'ordre psychologique aussi.
Les prévisions de l'impact d'une telle décision est pessimiste mais notre espoir se repose sur un choc Positif sur notre économie
I Hope so
RépondreEffacerMerci aîné pour l'éditorial. il est est très profond, riche et très explicite.
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