Transition démocratique en Haïti : vraiment ?


Le terme de « transition démocratique » est fréquemment employé pour désigner le passage d’un régime autoritaire à un régime démocratique. Mais, force est de constater que ce passage n’est pas encore complété en Haïti. De transition à transition, des missions internationales aux élections avortées pour aboutir aux gouvernements corrompus, le système politique haïtien s’apparente de plus en plus à un autoritarisme compétitif.
Les chercheurs politiques s’entendent pour dire que la transition démocratique comprend deux phases. La première est la transition politique qui marque une période intermédiaire, un intervalle durant lequel se produit un changement de régime politique. Elle est caractérisée par l’organisation d’une ou de deux élections libres. Le processus trouve alors ce qu’on appelle sa légitimité électorale. La deuxième phase, celle de la consolidation consiste à l’institutionnalisation du pouvoir politique qui va favoriser la pérennisation des « nouvelles règles du jeu » définies après un consensus national.


Le début de la transition démocratique haïtienne
Le 7 février 1986, Haïti a renversé le régime dictatorial des Duvalier. Le pays a fait ce que le transitologue américain Thomas Carothers appelle un « moving away » (s’en aller) de la dictature et un « toward » (vers) à la démocratie. Il a postulé à l’horizon démocratique.
Le Conseil national de Gouvernement (CNG), dirigé par un militaire, symbolisait le ralliement de l’armée au projet démocratique. La participation massive de la population le 29 mars 1987 au référendum pour l’adoption d’une nouvelle Constitution est un indicateur à considérer. Sur les 1 261 334 personnes, 1 258 980 votants, soit 99.8 %, ont répondu favorablement à la question.
Un autre élément important obtenu était la bénédiction de l’Oncle Sam et des institutions internationales (ONU, OEA). Le contexte géopolitique de l’époque l’obligeait, car ces derniers prônaient que ce sont les institutions démocratiques et la liberté économique qui stimulaient le progrès économique et social. Malgré tout cela, la démocratisation allait faire face à des difficultés tellement coriaces que certains historiens et politologues commençaient à parler de sa fin.

Un projet trop internationalisé
Parmi les constances qu’on peut relever dans la vie politique haïtienne depuis 25 ans, il convient de mentionner la permanence de la communauté internationale. De l’observation de chaque session électorale, en passant par le comptage des voix, la proclamation des résultats et pour arriver jusqu’à l’exercice du pouvoir, le maternage démocratique des « pays amis », se fait remarquer. Il est vrai que certaines interventions sont allées à l’encontre du principe de la noningérence dans les affaires internes d’un État, mais d’autres sont paradoxalement sollicitées par des acteurs nationaux.
L’un des exemples est la demande de l’Initiative de la Société civile (ISC) d’envoyer un contingent international de sécurité chargé d’encadrer et d’observer le travail de la Police nationale d’Haïti. Elle s’inscrivait dans le cadre de la résolution 822 de l’OEA, prise en septembre 2002 pour calmer les tensions entre le pouvoir en place (Lavalas) et l’opposition représentée par la Convergence démocratique.
Cette internationalisation institutionnalisée est aussi formalisée par l’incapacité de l’État haïtien à financer ses élections. Pour celles de 2015, deux tiers du budget était réunis par l’international. Sa gestion était confiée au Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) qui est non redevable par-devant la Cour supérieure des Comptes et du Contentieux administratif (CSC/CA). À bien considérer ces faits susmentionnés, il est compréhensible quand certains auteurs évoquent que le projet démocratique haïtien a été mis sous tutelle.
Un régime hybride : l’autoritarisme compétitif haïtien
Dans son prolongement postcolonialiste, l’État haïtien s’est montré incapable de favoriser le passage à un régime démocratique autonome et de définir des règles de sens permettant à tous ses sujets de se reconnaitre dans un État-Nation. Désormais, une remise en question de la transition démocratique haïtienne est incontournable et nécessaire.
Classée parmi celles de la « troisième vague » (Huntington, 1991), la transition démocratique haïtienne n’a pas échappé à la zone grise. Cette dernière désigne un imbroglio de certains attributs de la vie politique démocratique (élections, partis politiques de l’opposition) et de pratiques autoritaires (disparitions et emprisonnements politiques.). Depuis un certain temps, soit après la Seconde Guerre mondiale, des scientifiques du domaine politique ont focalisé leur attention sur un nouveau type de régime politique que connaissent des pays : « l’autoritarisme compétitif » (Levitsky et Way, 2010).
Ce sont des pays où il existe des institutions démocratiques et les élections se sont déroulées « régulièrement ». Mais ces dernières sont perçues comme des écrans de fumée. Ainsi, ce sont la fraude électorale systémique et les abus qui permettent au gouvernement en place de se renforcer. Dans une telle situation, les candidats de l’opposition peuvent rarement gagner.
Après une analyse approfondie des caractéristiques de ce modèle de régime hybride, il n’est point exagéré de qualifier notre situation politique actuelle d’autoritarisme compétitif.
Depuis 1994, le pays a connu des « transitions de portes pourries ». Un régime autoritaire, corrompu et inefficace est « dissous » uniquement pour qu’un régime similaire apparaisse à sa place. La démocratisation totale reste introuvable. Nous recherchons vainement le modèle de démocratie de type libéral inscrit dans la constitution du 29 mars 1987. Comme preuve, nous la violons constamment du fait que nous sommes restés dans la permanence des Conseils électoraux provisoires tandis qu’elle n’avait prévu qu’une seule dans ses dispositions transitoires (Art. 289). Il est temps d’avouer que notre transition n’est pas « interminable ». N’est-elle pas clairement un non-lieu ?













Jean Edwidge Petit-frère Juriste,
Licencié en droit
Etudiant finissant en sciences politiques
petitfrerejeanedwidge@ gmail.com




Bibliographie
1 Thomas Carothers, “The end of the Transition paradigm”, journal of democracy, January 2002.
2 Cary Hector, Le paradigme de la transition démocratique : remise en question et dépassement, Revue Rencontres du CRESFED, décembre 2002.
3 Steven Levitsky and Lucan A. Way,Competitive Authoritarianism: The Origins and Evolution of Hybrid Regimes in the Post-Cold War Era, Cambridge University Press, 2010.
4 Samuel P. Huntington, The Third Wave: Democratization in the Late Twentieth Century,University of Oklahoma Press, 1991.

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