L'espoir est en train d'être privatisé dans le monde





Cet article s'inspire du texte La privation de l’espoir écrit par Ronald Aronson, publié par le magazine Boston Review en 2016 où l’auteur décrit une situation d’individualisme très poussée que vit l’humanité d’aujourd’hui caractérisée par un revirement des aspirations et responsabilités sociales vers les individus. Ce phénomène est décrit comme une « individualisation », « une pression inexorable sur les individus pour, en effet, voler en solo. »



Nous n'avons pas perdu tout espoir au cours de la dernière génération, il y a plutôt une profusion affolante d'espoirs personnels. Une pression intransigeante sur les gens de s’affirmer indépendamment des autres. L’espoir est privatisé. Cette privatisation « sape la solidarité comme la colle de la vie sociale ». Elle affaiblit les capacités collectives pour résoudre les problèmes collectifs, et elle étouffe aussi le sentiment même que la collectivité peut ou doit exister. Une situation qui peut s’expliquer d'après Edsall, par les projets politiques, économiques et idéologiques des deux dernières générations, y compris la construction délibérée de l'économie de consommation et ensuite le tournant vers le néolibéralisme.

En effet, depuis les révolutions sociales des années 60, les gens sont beaucoup plus animés par les idées de propagation de la liberté et de l’égalité. L'individu et ses droits et responsabilités comptent désormais bien plus que des tâches collectives telles que la lutte contre le réchauffement climatique et l'élimination de la pauvreté. Cette révolution sociale, devenue économique, a provoqué chez les citoyens une liberté à ignorer notre sentiment d'appartenance à une société plus large. La conscience collective semble devenir idiote, naïve puisque l’action collective ne permet aucun gain car le moi a pris le dessus.

D’après Aronson, cette évolution de la société est la conséquence de la liberté individuelle prônée dans les années 60. Avant, les individus étaient assiégés par la société. Ils étaient opprimés et devraient se courber aux valeurs et aux pratiques dominantes. Aucune alternative n’était acceptée. Cependant, avec les révolutions sociales des années 60 qui a alimenté des luttes contre la culture dominante (mouvement hippie, liberté sexuelle, mouvement féminisme et des homosexuels, une explosion de nouveaux styles musicaux, etc.) en faveur des besoins individuels, la société est devenue assiégée par les individus. Des luttes que certains observateurs interprètent comme une ère d'individualisme, être animé du désir de faire de soi-même ce qu’on en veut et de faire fi de la société. Une attaque organisée contre l’espoir social d’après le sociologue Edsall. Les énergies de la sphère sociale se sont déplacés vers les sphères individuelles. Ces mouvements d’émancipation ont eu un effet individualisant et privatisant selon l’auteur.

La liberté individuelle prônée a exercé une influence sur le changement dramatique du pouvoir politique et économique : le néolibéralisme. Cela a changé le visage du capitalisme et le monde du travail. On fait la promotion des briseurs de normes ou de règles, les entrepreneurs, ceux-ci innovent mais ne prêtent aucune attention aux normes sociaux. L’individualité prôné, a créé des travailleurs flottants qui ont la liberté de changer fréquemment d’emploi. Et pour contrecarrer cette situation, le capitalisme flexible a créé un monde du travail temporaire du « précariat », où la liberté manque péniblement aux travailleurs et les mettent dans des conditions de travail, pour citer Fraser, qui ne leur donnent pas la possibilité d’exprimer efficacement leur mécontentement. Ainsi, les caractéristiques du nouveau capitalisme et les conditions précaires encouragent les gens à se lancer en solo au lieu de définir des actions collectives. Les travailleurs, comme l’a dit Aronson, sont largués sur un marché en tant qu'individus isolés sans le soutien collectif des syndicats ni du gouvernement. Ils sont condamnés à se mouvoir et à se réinventer fréquemment au cours de leur vie. Ils ne peuvent plus compter sur les institutions car se défendre eux-mêmes devient la meilleure option.

Autre élément qui explique la privatisation de l’espoir est le consumérisme. En effet, avec la hausse du niveau de vie de certaines populations, les gens sont orientés beaucoup plus vers les possessions matérielles : la société de consommation. Face à la montée excessive de la publicité, il est devenu plus facile de manipuler les préférences des consommateurs. Aronson rapporte que « la stimulation sans fin et intensive des « besoins » individuels ne peut que détourner l'attention de l'individu des besoins et des aspirations collectives. Les gens ne voient pas les changements. Les valeurs, les attitudes et les priorités ne sont plus les mêmes.

Et enfin, l’origine de la privatisation de l’espoir est vue par la tendance de ces dernières années à pousser les gens à inventer soi-même. Cela ne dit pas qu’on ne devrait pas motiver les gens à faire beaucoup plus d’effort. Mais, l’auteur affirme que « l’aspect frappant de la privatisation de l'espoir est la tendance croissante des individus à se considérer comme des entrepreneurs, en tant qu'agglomérations de capital social. » Comme l’a souligné Beck cité par Aronson, l’individu est élevé au trône apparent d'un façonneur du monde ». Il y a tout un encouragement et de la pression pour que les individus construisent leur vie consciemment et délibérément sous la forme d'une biographie. Pourtant, « cet auto-entrepreneur élargi est un soi appauvri, de moins en moins soucieux du développement des connaissances, des intérêts et des capacités, et plus obsédé, comme le décrit Brown, pour « maximiser la compétitivité ». Et, ironiquement, à mesure que l'individu devient de plus en plus insignifiant, son sens de soi grandit... »

La privatisation de l’espoir est enracinée dans des processus profonds dû à de profonds changements dans le paysage, les technologies, le travail et les gens : une transformation de ce que les gens pensent, font et ressentent. On a remodelé les valeurs, les idées et les attitudes. À travers l’économie, les tenants ont changé nos façons de pensées et nos pratiques. Selon Aronson, C’est un ordre imposé financé par un projet idéologique et politique délibéré visant à éroder la connectivité sociale et la conviction ». Les questions personnelles ou individuelles liées à des secteurs ou des minorités attirent beaucoup plus d’attention auprès des gens que les problèmes sociaux comme la pauvreté. Le problème de la privation de l’espérance se sont ses conséquences débilitantes sur la société. Nous avons perdu la capacité collective de faire face aux problèmes les plus urgents. « Une posture de déni, qui ignore les inégalités dans ce libre jeu des actions individuelles ».

Toutefois, l’auteur souligne que déjà, le christianisme et ses dirigeants cherchaient à détourner les gens des conditions politiques et sociales de leur vie quotidienne en les encourageant à en assumer personnellement la responsabilité. Mais aujourd’hui, dit-il, cela a pris des formes beaucoup plus atrophiées. Les gens sont de plus en plus voués à prendre le contrôle de leur vie sous peine de désavantage permanent. Bauman ajoute : « lorsque les individus deviennent personnellement responsables de ces problèmes, la douleur sociale et ses causes sont évincées. » En voulant se mettre tout sur le dos, il avance qu’on peut devenir frustré sans comprendre pourquoi. « Prendre le contrôle de sa vie contribue au processus de désocialisation et de désolidarisation », selon Baumann. Les capacités collectives pour résoudre les problèmes collectifs sont affaiblies et, on est même devenu indifférent face à ces problèmes.

Comme conséquence, aujourd’hui, les gens sont plus motivés à quitter un lieu quand les conditions ne sont pas réunies.  L’auteur prend l’exemple de la ville de Détroit où des milliers de gens ont abandonnés leurs villes à causes de certains problèmes (privations, manque d’opportunités économiques, insécurité, détérioration des quartiers et des écoles). Des centaines de milliers d’individus ont pris des décisions individuelles de renoncer à Détroit (un abandon collectif) aggravant ainsi les problèmes de la ville. Ils sont allés poursuivre leurs espoirs personnels ailleurs. Les gens n’ont plus envie de se battre pour le collectif, le collectif étant autrefois dominé par les puissants et les riches. Les intérêts de certains groupes et la jouissance des ressources communes étaient marqués par l'inégalité et la domination des classes, des races et des sexes. C’est peut-être le cas dans de nombreux pays en voie de développement.

L’auteur recommande des actions collectives pour faire face à ces problèmes communs. Ces dangers brouillés par l'intérêt personnel ne peuvent être maîtrisé que si nous acceptons qu'il y a un nous qui a transformé la nature et notre relation avec elle, conclut Aronson. Mais il se demande comment le faire si une masse critique est dans le déni du problème et n'a pas la capacité de former un consensus et d'agir ensemble ? Malheureusement, souligne l’auteur, notre capacité latente de générosité et de besoin de connexion est activée quand il y a une tragédie, un problème ou un désastre. Des moments qualifiés d’espoir utopiques, rares et espacés, d’après Rebecca Solnit dans Un paradis construit en enfer (2009), qui exigent les gens à prendre collectivement le contrôle de leur vie.









Anderson Tibeaud
Économiste 
tibanderson92@gmail.com
(509) 3314-3317 
@EcoandersonT

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